Mardi 7 mai 2024

Lorsque Dieu se donne à sentir…

    Lorsque Dieu tient l’âme endormie en quiétude, elle jouit et reçoit sans rien faire, et ne sait comme elle jouit, sentant seulement en elle cette suavité et ce calme très doux : elle s’aperçoit pourtant bien que c’est Dieu présent qui lui donne cela.

    Il lui donne aussi de grandes certitudes de sa présence, et des connaissances expérimentales de ce qu’il est Dieu, qu’il est bon, puissant, miséricordieux, et son souverain bien, et sa fin dernière. L’âme s’aperçoit bien qu’elle conçoit toutes ces choses d’une manière bien différente que quand elle raisonnait, ou qu’elle en entendait discourir. Elle se voit élevée au-dessus des sens, de l’imagination et du raisonnement. Le sacré repos qu’elle reçoit de Dieu présent, lui donne une vie intérieure de connaissance et d’amour tout autre ; et pour ainsi dire, elle goûte Dieu, et ce goût lui donne des expériences de ce qu’il est. Le goût d’un rayon de miel apprend plus ce que c’est que le miel, que tous les discours et raisonnement du monde. Et de vrai, c’est le même dans un sacré repos où l’on a goûté Dieu : vous connaissez mieux par sa bonté, qu’il est notre souverain bien et notre fin dernière, que par toutes sortes de raisonnements ou de méditations.

    L’âme qui a goûté Dieu, ne peut goûter les créatures, croyant faire tort à Dieu, qui veut être uniquement aimé ; et durant que l’on goûte quelque autre chose, quoique très innocemment, l’on cesse de goûter Dieu seul ; et c’est cette cessation d’amour que l’âme ne peut souffrir.

Jean de Bernières-Louvigny (1602-1659), Le Chrétien intérieur, VII, 16

MÉDITER :

    Il nous est arrivé, un jour ou l’autre, d’être comme saisi par l’évidence de la présence de Dieu, au-delà de tout ce que nous pourrions en dire ou en prouver, et des années après, peut-être, le souvenir nous en est resté, parfaitement net, comme un repère dans la grisaille de la prière quotidienne.

    Ce jour-là, les nuages se sont écartés, et nous avons compris que nous étions sur terre pour « goûter Dieu seul ».

    Et puis la vie a repris son cours, la prière ses efforts, ses lenteurs et ses distractions, cette longue traversée du désert du peuple élu, mais maintenant nous savions.

L´Auteur :

Bernières-Louvigny (Jean de, 1602-1659)

Fils d’un trésorier général de Caen, Jean de Bernières-Louvigny consacrera sa fortune et ses relations à l’animation du groupe mystique normand né autour du capucin Jean-Chrysostome de Saint-Lô, tout en assurant l’intendance de nombreuses entreprises missionnaires, et en fondant séminaires et hôpitaux à partir de son ermitage ouvert à ses nombreux amis contemplatifs. À travers son disciple Jacques Bertot, son influence marquera profondément le cercle de Madame Guyon. Ses écrits, connus à travers des transcriptions incertaines, notamment sous le titre du Chrétien intérieur, seront d’ailleurs englobés dans les condamnations du Quiétisme de la fin du siècle, sans pour autant qu’il y ait lieu de se méfier de leur orthodoxie.